jeudi 8 octobre 2015

Les Flammes de Corinthe

Cinéma

    Il arrive que l'on ouvre une pochette de DVD comme un recueil de poésies. C'est le cas avec Pier Paolo Pasolini, formidable écrivain tout terrain qui pose sa prose sur la pellicule. Ici, son nom encadre celui de l'héroïne qui sert de titre au film, accompagné de celui de la Callas. La mythique cantatrice apparaît en couverture telle une Maesta byzantine et mortifère. Le lecteur avale le DVD et nous voila plongés au cœur de l'objet autour duquel on tourne depuis plusieurs minutes. 


    Après avoir atterri aux sabots du centaure Chiron (Laurent Terzieff, du moins jusqu'à la taille) -dont le kitch nous rappelle que nous sommes en présence d'un film vieux de plus de 45 ans- nous faisons connaissance avec Jason, son élève qui le verra d'une façon plus humaine, comme désidéalisé une fois adulte. Ce dernier va comme le veut la légende, partir reconquérir le trône dont il est l'héritier, et sur lequel est assis son oncle. Ce dernier l'enverra récupérer la célèbre toison d'or qui se trouve au mains de barbares à travers la mer. Médée, fille du roi local, tombe amoureuse du héros, l'aide à s'emparer de la toison et s'enfuit avec lui après avoir tué et découpé son frère afin de semer les troupes de son paternel. Dix ans plus tard, alors qu'ils se trouvent à Corinthe, Jason, avide de gloire, décide d'épouser la fille du roi Céron et écarte pour cela Médée, qui lui a donné deux fils. Folle de rage, la traîtresse trahie retrouve ses pouvoirs magiques et brûle sa rivale, avant de poignarder ses deux enfants.

    Comme on peut le voir, il s'agit là d'un des rôles les plus difficiles à interpréter sur scène ou au cinéma, tant le personnage émet des sentiments complexes et fait évoluer les émotions des spectateurs au fil du récit. Maria Callas, qui l'a joué à maintes reprises à l'opéra, passe divinement à travers l'écran, dans un rôle quasi-muet, où les cris les plus aigus sont ceux de son regard. La dernière scène où, elle assène à Jonas de terribles sentences propulse le spectateur dans les flammes de Corinthe. 


    La force de Pasolini est ici d'avoir réuni, pour un des thèmes majeurs de l'Art en général, deux artistes qui ne sont pas des acteurs. C'est en effet l'athlète Giuseppe Gentile qui donne la réplique à la Callas, après avoir été remarqué sur une simple photo illustrant un article qui relatait sa médaille de bronze au triple saut lors des J.O. de Mexico. 

    Mettre deux stars comme celles-ci à l'affiche d'une oeuvre largement anti-commerciale n'est bien sûr pas anodin. Cela accentue la symbolique portée par l'histoire elle-même. Le film, à travers le mythe, nous montre la confrontation entre des "sauvages" n'hésitant pas à sacrifier des êtres humains (souriants au sacrifice) contre la protection des dieux et des "civilisés" libérés des contraintes liées aux croyances et pouvant s'adonner aux plaisirs et à l'ambition sociale. 
    Plus que la mère assassine, Médée est la figure du barbare attiré par un modèle dans lequel il s'aperçoit que ces notions de liberté et de contrainte trouvent des manifestations qui peuvent être plus sournoises qu'elles n'en ont l'air. Cette thématique est chère à Pasolini à une époque où il s'intéresse énormément à l'Afrique, officiellement décolonisée largement durant la décennie. 
     L'ambivalence des caractères et l'absence de manichéisme nous laisse penseurs.


    Loin de ces parenthèses que l'on n'est bien sûr pas forcé d'ouvrir, et si l'on ne connaît pas l'histoire de Médée, les plans, décors, couleurs des paysages et la poésie pasolinienne avant tout suffisent à nous emporter durant deux heures : 1h50 de film et dix bonnes minutes pour se remettre du dernier plan et se décider à éjecter le DVD...

09/10/2015.

Médée
Pier Paolo PASOLINI
(1969) - 1h 50.

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