C'est dans l'obscurité la plus complète que le collectif belge FC Bergman accueille son public. Les spectateurs s'installent intrigués par l'atmosphère lugubre de la scène où l'on devine les silhouettes immobiles de quelques acteurs, ainsi qu'un bruit d'eau en fond sonore. Nos intuitions se confirment lorsque la lumière dévoile un bassin dans lequel flotte un corps de jeune fille, morte et repêchée par six croque-morts : le ton est donné. Le lapin décapité de l'affiche nous avait pourtant prévenu !
Les regards se tournent ensuite vers une voiture où s'engage un dialogue philosophique au fort accent flamand. Dame Fière (Viviane de Muynck), aux airs de Castafiore, échange sur la violence de la vie et la souffrance qui lui est inhérente avec Ysengrin (Dirk Roofthooft), lointaine représentation du loup de cette adapation très libre du célèbre Roman de Renart. Ce flot de paroles trotte sur nos esprits trop préoccupés par la richesse du décor.
S'ensuit une succession de tableaux, tant esthétiques qu'oppressants. Les hommes du loup traquent Renart (Grégory Frateur) tandis que ce dernier mène une lutte acharnée pour ne pas sombrer dans la démence. Un état symbolisé par l'inondation du bassin qui va au devant des spectateurs. La salle a d'ailleurs été amputée de trois rangées de sièges pour agrandir la scène et accentuer l'effet d'envahissement.
Les pulsions sexuelles et de mort entrecroisent alors qu'un assistant, muni d'une steadicam suit notre héros à chacun de ses mouvements. Les images sont projetées en direct sur un mur de verre qui ouvre au lointain une profondeur de champ à travers une forêt sombrement bucolique. Les protagonistes s'y perdent quant ils partent en quête de la "Bête". Plusieurs d'entre-eux, dont la femme d'Ysengrin (Marie Vinck), sont successivement assassinés dans une intense cruauté cinématographique, ce qui contraste avec la voix remarquable du goupil, que l'on découvre enfin, accompagné par l'orchestre, dans un face-à-face final attendu comme dans un western américain. L'envolée lyrique dans laquelle il exprime son incapacité à s'extraire de sa condition monte le suspens dans un crescendo de tension jusqu'à l'apothéose. Il est alors menacé par l'arme du loup qui s'approche progressivement. Le cinéma jaillit alors sur scène lorsqu'il décide brusquement d'en finir et se tire une balle en pleine tête.
Le spectacle se clôt sur cette détonation inattendue et une dernière giclée de sang. Les lumières cette fois allumées, on sort de la salle la tête plongée dans un flou éblouissant, marqués par les images et volontairement peu éclairés.
02/03/2014.
Van den Vos (Le Roman de Renart)
FC BERGMAN
Le Phénix, Valenciennes
O5 février 2014.