Si
elle reste l'élection la plus participative, la présidentielle est
un arbre qui cache de moins en moins la forêt des abstentionnistes.
En
grande partie liée à la personnalité des candidats, elle donne
dans l'opinion autant de poids aux hommes qu'à leurs idées, on
privilégie souvent le stroytelling
au débat de fond. La campagne en cours, avec ses affaires en tout
genre ou ses candidats sans programmes, est d'ailleurs un modèle du
genre.
On
a bien souvent l'impression d'être dans un concours de télécrochet
plus que dans un choix de destinée nationale...
Désintérêt
du peuple pour la politique ? Beaucoup d'éditorialistes voient dans
ce "parti abstentionniste" grandissant le signe d'une
démocratie en danger. Mais de quelle démocratie parlons-nous ?
En
2012, 9 millions d'inscrits ne s'étaient pas déplacés aux urnes
que ce soit au premier ou au second tour. Ce qui, rapporté aux
résultats finaux, impacte directement la représentativité réelle
du président élu.
En
effet, si l'on prend en compte ce chiffre, et que l'y on ajoute les
votes blancs ou nuls – 700 000 au 1er et 2 150 000 au 2nd
tour tout de même ! – on constate que 22, 30 % des inscrits ont
voté François Hollande le 22 avril et 39 % le 6 mai.
Le
président élu ne représente donc que 39 % de la population en âge
de voter. Quand on sait que le candidat Hollande a lui-même dû en
grande partie sa qualification comme candidat à la débandade du
favori des primaires du PS. Quand on sait aussi qu'une majorité
d'électeurs lui ont donné sa voix pour éliminer Nicolas Sarkozy du
pouvoir plus que part adhésion à son programme...
Pire
encore, aux Législatives qui ont suivi, plus importantes car
permettant d'appliquer un programme, 19 millions d'abstentionnistes
ont été recensés, soit près d'un inscrit sur deux !!
Ceux
qui ne votent pas n'ont pas à se plaindre du résultat des urnes,
nous objectera-t-on. Certes.
Mais
l'abstentionniste endurci qui voudrait tout de même se donner une
chance de se rendre dans l'isoloir en étudiant les aboutissements
des dernières élections retournerait sans doute bien vite
renouveler son abonnement au club de pêche.
Sans
évoquer plus en détails les précédentes élections, ou même le
traité de Lisbonne, que les Français avaient mis à la porte avant
que le président Sarkozy ne le fasse rentrer par la fenêtre, il
suffit de faire le point sur le quinquennat qui s'achève pour se
rendre compte de l'Etat de la démocratie soi-disant mise en danger
par les non-votants.
Outre
la façon dont le président Hollande est arrivé au grade suprême
(élimination du favori des primaires + "tout sauf Sarko"),
si l'on reprend notre idée de représentativité réelle, 21,80% des
inscrits ont donc élu une majorité de député PS pour appliquer
son programme. Signe d'un pays en phase avec ses politiques...
Toujours
est-il que c'est ce programme qui est arrivé en tête. L'électeur
qui voit son choix se concrétiser a donc toutes les chances de se
réjouir ? Pas sur.
En
effet, si quelques promesses sociétales ont été tenues, la mesure
phare du quinquennat de François Hollande restera la Loi Travail
dite "El Khomri". Déterminante sur les plans économique
et social, elle est pourtant critiquée par une grande partie des
électeurs et même par certains cadres du parti majoritaire.
Principal
reproche ? Ne pas apparaître dans le programme pour lequel le
président a été élu. Pire, certains opposants radicaux assurent
même qu'elle contredit les engagements du candidat Hollande, faisant
notamment référence à son discours du Bourget et à sa réplique
"mon ennemi c'est le monde de la Finance".
Face
aux difficultés, Manuel Valls utilise l'article 49-3, empêchant de
fait tout rejet du Parlement. Considéré comme un "déni de
démocratie" par le François Hollande de 2006, alors Premier
secrétaire du PS, il permet au Premier ministre de faire pression
sur sa majorité en l'obligeant à valider l'un de ses choix, ou à
renverser le gouvernement, et donc mettre cette majorité en péril.
En
résumé, la réforme la plus impactante pour les Français n'aura
été choisie par aucun électeur, et promulguée sans vote par les
parlementaires. Belle promotion pour la Démocratie (directe et
indirecte)...
En
ce qui concerne l'échéance 2017, outre les affaires et la faible
présence des questions de fond dans le débat déjà évoquées, les
abstentionnistes ont d'ores et déjà semble-t-il de quoi se réjouir.
Les
primaires instaurées aux élections de 2012 devaient renforcer la
démocratie participative. Inspirées du modèle américain, elles
tendaient à favoriser le bipartisme et éloigner les extrêmes, la
droite rebaptisant son parti "Les Républicains" pour bien
accentuer cette référence US.
Or,
force est de constater qu'elles tendent plus à diviser les partis en
leur sein qu'à déclencher des entousiasmes populaires. Les
candidats éliminés et même les cadres ont beaucoup de mal à se
ranger derrière le représentant désigné. Il suffit de constater
les nombreuses défections subies par Benoit Hamon, candidat légitime
du PS, au profit d'Emmanuel Macron, lancé hors des primaires...
Ce
système de pré-élection, initié par le parti de la rose, sera
même sans doute sa dernière épine avant dissolution.
Face
à ces éléments, l'abstentionniste n'est pas près de changer ses
plans du dimanche pour aller mette un bulletin dans l'urne. Oui mais
?
Oui,
mais nos ancêtres se sont battus pour le droit de vote et ne pas y
aller est une insulte à ces braves gens !
Oui,
mais tant de pays privent leurs concitoyens du droit de choisir leurs
dirigeants !
Oui,
mais ne pas voter fait le jeu des extrêmes !
Pour
ce dernier point, mise à part le fait qu'imputer le vote de certains
à d'autres est tout de même assez culotté, on peut imaginer qu'une
part importante des abstentionnistes n'opterait pas automatiquement
pour un "vote utile" dans l'isoloir. On aurait peut-être
même tendance à penser l'inverse.
Viens
ensuite l'idée de conquête du droit de vote au prix de la vie de
nos aïeux. Si les révoltes et les combats de l'Histoire ont eu
leurs raisons d'être, il est difficile de faire d'une réalité
d'antan une logique contemporaine.
Antoine
Buéno, dans No Vote!
Manifeste pour l'abstention,
rappelle que le vote est une liberté et non une obligation. Il le
met en parallèle avec le droit de chasse, conquit à la même époque
et qui n'oblige personne à prendre un fusil.
Le
droit de ne pas voter est donc pour lui une liberté aussi importante
que celui de se rendre aux urnes.
En
ce qui concerne les modèles de gouvernement et la Démocratie comme
panacée que nous présente nos responsables politiques, soucieux de
préserver leur situation, laissons le mot de la fin à Octave
Mirbeau qui évoquait déjà cette question dans son article du
Figaro intitulé "La
Grève des électeurs" et paru en 1888 :
"Les
moutons vont à l'abattoir. Ils ne disent rien, et ils n'espèrent
rien.
Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera et pour le bourgeois qui les mangera.
Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l'électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois.
Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit."
Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera et pour le bourgeois qui les mangera.
Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l'électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois.
Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit."